Chapitre 1
J’étais dans le train pour me rendre chez ma mère et j’écoutais le grincement des roues sur les rails ainsi que le tumulte des autres passagers à bord. Le train s’immobilisa à une station où je n’avais jamais descendu mais que je voyais à l’occasion sur mon chemin. Je vis un père tenant sa fille de deux ou trois ans par la main pour ne pas qu’elle tombe le temps qu’ils s’engageaient dans l’entrée pour sortir sur le quai. La petite riait en titubant et s’accrochait fermement à cette main qui la protégeait de tout. L’homme la regarda d’un œil doux que seuls les pères les plus attentionnés peuvent donner à leur enfant. Si seulement ils étaient tous comme ça! Si seulement…
Je reportais mon attention sur la fenêtre alors que les wagons se remirent à avancer tranquillement. Je scrutais le paysage qui se mit à défiler de plus en plus rapidement à mesure que le train prenait de la vitesse. Je replongeais presque aussitôt dans mes pensées, comme cela m’arrivait beaucoup trop souvent. Je pensais également à ma petite fille, la mienne, celle qui dormait paisiblement à mes côtés. Celle qui n’aura probablement jamais un père comme celui-là. Celle que j’aimais tant, celle que j’essayais de mon mieux de protéger de toutes les mauvaises choses de ce monde. Mon cœur, mon sang, mon enfant. Je ne regrette pas ma décision d’avoir mis au monde ce petit amour. Je ne le regretterai jamais. Ce que j’aimerais changer ce sont les évènements passés, et surtout ce que j’aimerais le plus changer c’est… son père. Un homme comme il y en a trop. Un homme lâche. Un homme qui peut tout promettre mais qui finalement, ne peut rien donner. Un homme qui raconte de belles histoires pour cacher la réalité. Un homme qui se nomme Pierre et qui est le père de mon enfant. Cet homme même qui a gâché une partie de ma vie.
Ma petite Tamara se tortillait sur son siège. Je m’étais retournée certaine qu’elle se réveillerait mais elle se rendormi aussitôt. Je retournais à mes pensées comme à l’habitude. Je repensais à tout ce qui s’était passé depuis le jour où j’avais rencontré Pierre. Essayant de trouver si j’avais commis un erreur, si j’avais pu changer quelque chose. Le premier éclair qui me traversait l’esprit était que je n’aurais jamais dû tomber amoureuse de lui. Ensuite, je me dis que si ce fut le cas, ma tendre Tamara ne serait pas là, à mes côtés. Malgré que si je ne l’avais jamais connu, elle n’aurait pu me manquer. Comme cet être que je m’étais fait enlever quelques années plus tôt. Je ne devais plus penser à ces choses qui me torturaient l’esprit. Malgré que… Je ne savais plus que croire. Mes allégations étaient aussi sans dessus dessous qu’un puzzle de 1000 pièces qu’on viendrait tout juste de sortir de la boîte. Une chose était claire par contre; ce salaud ne gagnerait pas! Contre mon gré, j’éprouvais encore quelques sentiments pour lui. Sentiments qui refaisaient surface, qui émergeaient du passé. Parfois, je me remémorais ces yeux, son sourire et ses gestes tendres, ce qui me provoquait un pincement au cœur. Quelques secondes après, me revenait ses assauts, ses colères et ses mensonges, ce qui me faisait vite oublier ses charmes. La haine que j’avais alors envers lui ressurgissait promptement de plus profond de mon être.
Je regardais ma montre et vis qu’il me restait encore trois longues heures avant d’arriver à destination. J’allais chez ma mère, comme je vous l’ai déjà dit quelques minutes plus tôt, qui habitait à cet époque à Vancouver. Elle s’était engagée dans l’armée quelques temps seulement après mon accouchement, ce qui me plaisait bien de toute façon. Julie et moi, on ne s’est jamais bien entendues. On est pire que chien et chat. Avez-vous déjà ressenti, à travers le regard de votre mère, à quelle point elle vous méprise? Moi, si. À plusieurs occasions d’ailleurs. Comment pourrait-on chercher la compagnie de quelqu’un qui ne désire pas de la vôtre? Je l’aime quand même quelque part au fond de mon cœur. On ne peut rejeter sa propre mère comme une vieille chaussette sale malgré tout ce qu’elle a pu dire ou faire. Ce serait contre nature. Après tout, sans elle, je ne serais pas de ce monde. La vie est parfois tellement compliquée pour si peu de choses. Heureusement que j’ai le reste de la famille pour me soutenir, sinon je n’y serais jamais arrivée. Il y a ma meilleure amie aussi, Stéphanie. On se connaît depuis la tendre enfance. Elle était toujours là lorsque j’en avais besoin, même si la plupart du temps, je lui cachais mes problèmes. Je n’aimais pas l’accaparer de tous mes ennuis, elle avait déjà assez des siens. J’aime me confier à elle lorsque j’ai des décisions à prendre. Elle est très sage dans ses réflexions. Elle me conseille sans jamais me pousser dans une direction précise. Steph me donne tous les points importants sur chaque facette du problème en me laissant toujours le choix et le dernier mot. La plupart des gens, lorsque vous leur demandez de l’aide, ont tendance à vous donner leurs opinions, leurs choix et ce qu’il y aurait de mieux à faire pour eux-même. Pas elle, elle me fait réfléchir et me laisse décider. De toute façon, j’ai la fâcheuse habitude de ne jamais écouter les conseils d’autrui et cela me joue parfois de vilains tours. Si seulement j’avais écouté…
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Stéphanie est une personne très indépendante et il est presque impossible de lui faire changer d’avis. Si elle dit non, c’est non! Elle a un caractère fort et entêté. Les gens qui ne la connaisse pas, ont peur de l’aborder parce qu’elle a l’air renfrogné et massacrant. Mais lorsqu’on la connaît bien, on sait tout de suite que ce n’est pas le cas. Elle est capable de sourire et de faire des blagues. Elle me fait bien rire d’ailleurs, parfois, j’en ai des crampes à l’estomac. Mais si elle est de mauvaise humeur, alors là, vaut mieux ne pas rester sur son chemin. Elle a par contre une qualité qui s’avère souvent être un défaut; son franc-parler. Par moment, c’est bien. Cela remet les choses au clair rapidement, chasse la gène, nous fait rire ou réfléchir… Mais à d’autres occasions, c’est trop direct, ça blesse, ça rend triste ou colérique. Elle ma souvent blessé avec ses dures paroles, mais la connaissant depuis plus de 15 ans, je sais que c’était involontaire. Elle est comme ça c’est tout et on ne peut changer quelqu’un, même si parfois on aimerait y croire. Elle a eu une enfance difficile, dans la pauvreté, ce qui forge le caractère. J’imagine que ce fut son arme de défense. Heureusement Steph a aussi beaucoup de qualités. Sinon, on aurait pu être de si bonnes amies depuis bon nombre d’années. Elle est comme ma sœur, je ne la changerais pour rien au monde.
Toute ma famille habite à Montréal, y compris moi-même. Il y a mes chers grands-parents, Mario et Zabroda, que j’adore. Un vieux couple typique; toujours en train de se chamailler pour des riens. Joueurs de pétanque professionnels, mangeur de Macdonald et joueurs de cartes. Ils m’ont appris beaucoup de choses dans mon enfance. Comment jouer à la pétanque et aux cartes, bien sûr. Comment danser en ligne et en couple, comment faire du patinage artistique, comment conduire un peu plus tard… Je n’imagine pas ma vie sans eux et je n’ose pas penser au jour où ils nous quitterons.
Il y a mon frère Nicolas, qui s’entend à merveille avec notre mère qui l’a toujours protégé comme un précieux trésor. Il est homosexuel. Tout le monde est au courant mais personne n’en parle, ni même lui. Peut-être croyaient-ils qu’en cachant la vérité, ils finiront par oublier. La nouvelle a été dure pour la famille mais surtout pour ma mère qui ne l’a pas du tout accepté. Moi, cela ne m’a pas étonné puisque cela se voyait déjà à son adolescence. Il avait des manières féminines et depuis qu’il s’est dévoilé au grand jour, cela a empiré. Mon amie, elle, s’en fiche complètement. Il n’y a rien qui la choque.
Et, bien sûr, il y a moi, Kassandra. Je suis petite et un tantinet enveloppée. J’ai de longs cheveux bruns jusqu’au bas du dos, les yeux noisettes et de grands sourcils noirs très épais. J’adore jouer à des jeux vidéos, regarder des films, manger (surtout du Macdonald, éducation de mes aïeux), aller au cinéma, danser et écouter de la musique. Je n’aime pas les bijoux et je n’en porte jamais d’ailleurs. J’ai toujours les mains moites. J’aime m’habiller de façon sportive et confortable, ce qui ne m’empêche pas de me vêtir plus sexy pour sortir quelque part. J’aime me faire de nouveaux amis et déteste être seule. Bref, ça me décrit assez bien dans l’ensemble.
Je ne retiens pas beaucoup de la famille. Ma mère est petite aussi mais assez grassouillette. Elle a les cheveux et les yeux bruns qu’elle cache si souvent sous colorations et lentilles qu’on a tendance à oublier leur véritable couleur. Ses cheveux sont toujours courts par contre. Ses sourcils, après d’innombrables épilations sont devenus très minces. Elle a un caractère très changeant; un jour elle vous apprécie, le lendemain elle vous déteste. Elle tient toujours à obtenir le dernier mot et elle croit qu’elle sait tout sur la vie.
Mon frère est très grand et très mince. Il a les cheveux noirs, de grands sourcils noirs, les yeux bruns et le teint basané. Il est expert pour faire la moue ou l’air de dédain. Il ne jure que pour les vêtements de marque Tommy Hilfiger.
Mon grand-père Mario a les cheveux tout blancs et étant chauve sur le dessus de la tête, il ramène ses mèches de côtés sur le dessus et les colle avec du gel. Il porte de grosses lunettes épaisses, n’a plus aucune dent et arbore fièrement une grosse bedaine bien ronde. Il porte son pantalon sous la dite bedaine et aime à remplir ses poches de monnaies qu’il fait constamment cliqueter. Il adore faire des blagues grivoises et bavarder avec les voisins qui ont entendus ces blagues des dizaines de fois. Il jure haut et fort et ne s’en gêne pas le moins du monde. Il est bon vivant et aime rire.
Ma grand-mère, Zabroda, a à peu près les mêmes mensurations que ma mère. Elle porte un caniche sur la tête et a les yeux bruns. Elle aime nager et aller boire un café avec ses amies de la piscine. Ses pommettes prennent une teinte rosée lorsqu’elle prend un verre. Elle enveloppe tout ce qu’elle trouve de pellicule plastique pour les protéger de la poussière et elle tient mordicus à ses émissions de télévision en soirée.
Ma meilleure amie, elle, est grande et mince. Elle a les cheveux bruns au naturel mais elle aime bien le changement et passe souvent chez le coiffeur pour une nouvelle tête. En ce moment, il sont mi-courts et blonds-roux. Elle a les yeux de plusieurs couleurs : parfois bruns, parfois verts foncés, parfois noisettes et parfois toutes ces teintes à la fois. Elle a un grand nez qui la dérange et un problème d’acné persistant depuis l’enfance qu’elle essaie tant bien que mal de dissimuler derrière un fond de teint. Elle a le visage long et de petites lèvres pincées. Elle ressemble étrangement à la chanteuse Céline Dion, ce qui lui a valu ce surnom à un époque et elle détestait cela. Elle est très soignée. Elle s’habille bien, se maquille, porte des bijoux et fait manucurer ses ongles. Malgré l’attention qu’elle porte à son apparence, elle est très loin d’être superficielle. Une mèche de travers, un ongle cassé ou un rouge à lèvre disparu, ça lui est égal.
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Le train continuait sa route à travers villes et champs. Tamara dormait toujours silencieusement sur son banc et je ne cessais de me souvenir de tant de choses, de tant d’évènements passés.
Je vous ai parlé des personnages principaux de ma vie. Maintenant, laissez-moi vous raconter ce qui me tourmentait à ce point. Ça commencé il y a trois ans, mais pour moi, c’est comme si c’était hier…